SOLOMON MARCUS

Eminescu ou la poésie comme enchantement, în franceză de NICOLAS CAVAILLÈS

 
 

J’ai commencé à aimer Eminescu avant même de le comprendre. J’avais sept ans lorsque j’ai entendu un enfant réciter Somnolents oiseaux  et je ne voyais pas à qui le poète disait de dormir en paix, puisqu’il s’adressait à un singulier, il ne s’adressait donc pas aux oiseaux. Lisant d’autres de ses poésies, je constatais, sans y comprendre grand’chose, qu’elles me plaisaient tout de même. Il y avait là un ondoiement du vers, comme un bercement, entre le soyeux et le cristallin, qui emplissait mon être. Plus tard, à l’adolescence, c’est Eminescu qui a modelé mes premiers frissons devant le visage d’une femme et dans la contemplation de la voûte céleste. Le manuel scolaire de Gheorghe Nedioglu, dans la seconde moitié des années trente du siècle dernier, m’a surpris par la position centrale qu’y occupait Vasile Alecsandri, laquelle semblait due en bonne mesure au rôle majeur qu’il avait joué dans le recueil et la mise en valeur du folklore. Les variantes Alecsandri de Mioriţa et de Maître Manole avaient la priorité. Eminescu était présent par ses Épigones et par sa Troisième lettre, et je trouvais dans ses parages immédiats Alexandru Vlahuţă, ses vers admiratifs adressés à Eminescu (Je ne cesse de relire ton livre magistral / Quoique je le sache par cœur… ) et des fragments de sa Roumanie pittoresque.

Vint toutefois l’an 1941, et l’Histoire de la littérature roumaine, des origines jusqu’à nos jours de George Călinescu. Dans une Roumanie dont l’unification avait eu lieu seulement vingt ans plus tôt, qui se cherchait donc encore et se construisait une nouvelle identité, une autre vision apparaît ici, où le chapitre consacré à Eminescu est intitulé « Le poète national ». Călinescu poursuivait ainsi l’idée de Titu Maiorescu, selon lequel toute l’évolution de la poésie roumaine du XXe siècle serait placée sous le signe d’Eminescu. Ce dernier devenait manifestement un élément constitutif de l’identité roumaine. À ce moment-là aussi, certaines choses me dépassaient, chez lui, mais je sentais que sa langue roumaine sonnait autrement que jusqu’alors. Il m’était devenu clair qu’il répondait à un besoin pré-existant en moi, Eminescu arrivait sur un terrain de soif de poésie, qui s’est transformée en ce que je pourrais appeler aujourd’hui soif d’Eminescu. Avant tout, j’ai appris grâce à ce poète que, bien plus qu’un genre littéraire, la poésie est un état d’enchantement, un ingrédient sans lequel ma vie serait insipide. […]

Traduit du roumain par Nicolas Cavaillès

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