Constantin Abăluţă est un homme-poème. Traversant Paris de son pas patient, il prend ici une ombre, là un regard, s’amuse du nom d’une rue, d’un panneau, d’un avis ou d’un de ces sigles improbables dont les parisiens sont si friands. Il traque les mots échangés dans la foule, ces petits indices d’absurdités qui parsèment le réel le plus quotidien. Et là vient l’idée, rapide elle fuse, s’inscrit dans un carnet, devient un texte qui nous bouscule, nous décale. Chacune de ces péripéties, entre la courte nouvelle et le poème en prose, entre la description distanciée, d’allure sociologique ou topographique, et le parti-pris imaginaire le plus libre, commence alors par nous nommer une rue de Paris avant d’y relater un fait divers ou un caractère. Nous sommes parfois dans la fable, l’absurde est là qui pointe, mais Constantin Abăluţă nous donne aussi l’évidence de la réalité. Ce réel frappe. Avec ses rituels de sourds, ses personnages inquiétants, ses invisibles, hommes ou chiens, ses petits métiers excentriques comme bricoleur de coquillages. L’auteur s’amuse à inventer des personnages hauts en couleurs ou en noirceurs, avec des noms très drôles, qui font penser tantôt à Pagnol, Jarry ou Michaux. Paris devient intemporel, figure une scène en cent tableaux, avec ces coups de théâtre.
Une ironie, parfois douce, d’autres fois cruelle plane sur ces paysages, un peu dans le goût de ce grand auteur que fut Daniil Harms. Comme Beckett dont il fut le grand traducteur en langue roumaine, Constantin Abăluţă, dans « Péripéties quasi-imaginaires dans les rues de Paris », choisit ici d’écrire en français afin d’aller à l’essentiel, de chercher d’autres assonances, de préférer la description la plus directe à la seule éloquence de la métaphore. A la fois étranger dans la ville et omniscient (il semble dans les textes connaître toutes les faces cachées des rues), Constantin Abăluţă a écrit un livre d’une grande puissance tant il échappe à l’analyse, à une quelconque étiquette. Voici, sous la plume de cet homme-poème, une des rares oeuvres contemporaines qui contienne sa propre logique, ou comme on le dirait d’un photographe son angle de vue personnel, sa focale, son cadrage toujours surprenant.